Toute la culture (Lucas Beck)

samedi 10 mars 2012
par  NLLG

Patrik Ourednik accorde un sursis à la littérature européenne chez Allia

Toute la culture, 6/12/2011


L’auteur tchèque, traducteur dans sa langue maternelle de François Rabelais, Alfred Jarry, Raymond Queneau, Samuel Beckett, Henri Michaux et Boris Vian, s’est fait connaître avec Europeana. Une brève histoire du XXe siècle (Allia, 2001). Dans le droit fil de ce récit initiatique oscillant entre fiction et essai, deux nouveaux opus de l’ingénieux auteur tchèque paraissent le 5 janvier, toujours chez Allia : le recueil de poèmes Le silence aussi et le récit ludique Classé sans suite. Deux textes extrêmement fins qui nous rappellent avec raison que la littérature européenne n’a pas encore poussé son dernier râle.

Classé sans suite est un drôle de polar, dont le titre même annonce l’absence de queue et de tête. Voire d’intrigue. Tout tient sur des personnages irrésistiblement nostalgiques, face à lui, Vilem Lebeda, un parent lointain, érudit devenu inspecteur de police après le communisme, et la rencontre a bien sûr lieu dans un boui-boui qui rappelle les pensions des vieux romans de l’empire austro-hongrois. Les beaux néologismes traduisent avec humour une fin de non-recevoir des concepts anglo-saxon dans ce brouet littéraire continental (« natcleub », « meurmon », « huisky »). Au compteur de la narration, l’on dénombre un incendie, un viol et plusieurs meurtres. L’élucidation n’est pas celle des crimes, mais plutôt l’enquête impossible du lecteur sur le sens de ce récit « classé sans suite » et diablement orienté par des références hilarantes au jeu d’échec et à maître Jorge Luis Borges. Apportant l’histoire, des impasses théoriques sur sa signification, et pas mal de critiques formidables des temps post-communistes (et de leurs critiques eux-mêmes encroutés et volontiers racistes), ce texte est un véritable feu d’artifice intellectuel, aussi irrésistible dans ses méta-considérations ludiques qu’a pu l’être le Paludes de Gide en son temps.