Vladimír Holan : À tue-silence

Publié le vendredi  9 mars 2012
Mis à jour le dimanche  8 avril 2012

Vladimír Holan

À tue-silence

Éditions K, Paris, 1990

L’Abîme de l’abîme

Éditions Plein Chant, 1991

Poèmes tirés des recueils Aux derniers abois (1967), À Asclépios le coq (1970), L’Avant-dernier (1982) et Adieu ? (1982), traduits par Patrik Ourednik.


 Souvent

On ne peut taire l’être
qui fréquente ce qu’il ignore,
divinement. Souvent
le courage s’impressionne, errant,
et souvent sous le toucher de la menace
il faut accueillir la menterie. Souvent
grâce au seul lapsus le ciel est plus haut.
Mais nombreux sont ceux qui
resteront à jamais :
des gorets du destin dans la
solitude planchardeuse des lieux...


 Ripant vers l’Avent

Il neige depuis le jour. Les alentours du monde
au broie-mot. Les corbeaux
s’imposent des limites, car
il n’y a apparemment aucune ombre en face,
et ils sont ainsi des leurs ou des autres.
Et nous ? Est-il encore temps
pour que nous désirions le visible ?
L’espoir a-t-il son vis-à-vis ? Et est-il vrai
que d’être châtié au moment de la mort
n’est pas un châtiment ?


 Pour tout aller

Un mur... un mur par amour du verger,
par haine de l’homme.
Du côté intérieur il y a plus d’arbres
que de fruits. Il y a à l’extérieur
plus de péchés que de cuisses.
Ce mur, bien qu’épais, bien que
haut et aigu, tente.
Pour tout aller, des vipères
guettent dans ses fentes. Un bon mur !


 Liberté

Est-il possible de rêver d’impossible
sans haine ? Peut-être
à celui qui désespère,
mais pas même lui n’aura le courage
de l’intégralité, ou de se convaincre
en dernier lieu du contraire.

Dehors, il tonne. Bon temps
pour le cahotement du mutisme
et pour rien de semblable...


 Probatum est

Qu’elle soit perceptible ou imaginaire,
la mort dorénavant se tient sur ses gardes
et surveille, mesquine,
le moindre frémissement qui pourrait
devenir action latente.

Pourtant, autrefois et durant toute ta vie
force choses te furent offertes ! Entre autres
que tu renonce au puits
pour une livre de poivre...


 À nouveau

Sans que tu puisses espérer :
aussi loin que cela !
Sans que tu puisses te rendre compte
que tu gémis si fort :
voilà que le voisin martèle le mur !
Que reste-t-il à faire sinon rebrousser chemin,
connaître à nouveau et à nouveau refuser ?


 Néant

Non, n’aie pas peur, personne ne nous
fera du mal... Nous ne sommes là
qu’en invités... Moins que dire
et se taire à rien de rien :
voilà ce qui nous attend...


 À quoi bon ?

Le sourire de l’enfant... De refus ? D’approbation ?
Qu’en savons-nous dans ce monde
sans amour ? Dans ce monde
où même la joie ne serait due
qu’à la peur ? Dans ce monde qui
pèche déjà en étant tout à l’usage
à la vie du néant
vers le néant ?

La solitude aussi est un acte. À quoi bon agir ?


 Ce n’était qu’un rêve !

Ce n’était qu’un rêve ! Vois-tu,
le verger est là, comme toujours,
à droite les ruches, comme autrefois,
et le traces sur l’herbe piétinée jusqu’à
l’écurie où l’on avait pris le voleur de chevaux,
et dans sa niche le chien, vieux déjà,
mais qui s’en aboie encore à Dieu !
Ce n’était qu’un rêve !... Je connais des enfants
qui ont la Mort pour marionnette !


 Comment

Surmonter le temps ou le détruire ?
Par la volonté du destin ou du hasard ?
Ensemble ou pour son propre compte ?

Ainsi demandent-ils, soulagés
que la réponse n’arrive pas...


 Alors ?

La vie comme jeu cruel ?
Ou serait-il possible
que ce soit l’ironie,
plus forte que le destin ?


 Le dernier ?

Ceci est un dernier mur
car on ne peut, dit-on, aller plus loin.
Assez haut pour protéger le mystère
mais suffisamment caduc
pour que nous entrevoyions derrière
ce qui est devant :
une pente, un champ de seigle et un cochevis.

Si connaissance est mort, que faire d’un acquis
renouvelé par la mort ?


 Ton enfance

Au plus haut toutefois
se dressait le château.

Et les oiseaux ?
Lesquels préférais-tu ?
Corbeaux, freux, martinets et crécelles,
corneilles, ducs et chauves-souris.

Mais le plus beau des oiseaux jamais je ne l’ai vu.
Sa fiente en revanche, oh !


 Mais oui !

Non, plus un seul mot qui pourrait transparler le silence !
Mais il peut être que dans cette vallée de brumes
vous soyez en train de déguster par modestie
une caille, plus petite tout de même
qu’une perdrix... Votre seule salive toutefois
trahit que vous bouffez de l’homme.


Translation © Patrik Ourednik