Le Cinéphile (Alain Souche)

vendredi 15 mars 2013
par  NLLG

Classé sans suite, de Patrik Ourednik

Alain Souche

Le Cinéphile, août 2012


« ...à quoi il faut ajouter le handicap traditionnel des écrivains tchèques : ils prennent leurs livres au sérieux. »

Manifestement, ce n’est pas le cas de Patrik Ourednik, qui publie toujours dans sa langue d’origine alors qu’il vit en France. « La bêtise tchèque m’est plus intime que la française, » se justifie t-il. La bêtise, la grandiloquence des abrutis, Ourednik l’attrape au vol dans les dialogues virtuoses et hilarants de Classé sans suite, un polar biaisé qui ne mène nulle part, parce que son auteur en a décidé ainsi. « Écrire sur rien », c’est l’une de ses ambitions mais, osons le contredire, il y a beaucoup plus dans ce rien que dans bien des romans remplis jusqu’à la gueule de péripéties en tous genres. L’écrivain se moque de tout avec une belle santé, du peuple tchèque, de l’Europe méprisante et enfin, et surtout, des romans traditionnels qui font croire à ce gogo de lecteur que la vérité se trouve dans leurs pages pluôt que dans le monde réel. Le lecteur, justement, est l’une des cibles d’Ourednik, quand il l’apostrophe au coeur de Classé sans suite. Il lui dit en substance que s’il ne comprend rien à son livre c’est parce que 1. l’auteur (c’est à dire lui) est un idiot ; 2. le lecteur est un imbécile. C’est du 50/50. Voilà, c’est cela, Classé sans suite, un jeu littéraire, un petit monument d’insolence tapi sous plusieurs couches d’intrigues, avec des personnages on ne peut plus incarnés, bien qu’énigmatiques, dans une Prague à moitié imaginaire. Céder aux maléfices de ce livre manipulateur est pur délice. On en redemande, et la postface, signée d’un certain Jean Montenot, en donnant quelques clés avec malice, sans pour autant en dire trop, ajoute encore au bonheur de lecture. Au passage, un grand coup de chapeau à la traductrice, qui fait des merveilles, et à l’éditeur, qui vend l’ouvrage moins de dix euros. Ce n’est pas cher pour un bijou pareil.